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Je suis issu d’une famille qui considérait qu’en dehors de la filière scientifique, point de salut. Et donc de l’allemand et du latin et, en seconde au lycée, j’allais chercher dans la poubelle les devoirs de mathématiques que le professeur, en vaillant pédagogue gauchiste que par ailleurs il se targuait d’être, ne daignait pas me remettre en main.

Il faut dire qu’avec deux de moyenne sur l’année et une jolie bouille indolente, je n’étais pas le cœur de cible de cours brumeux (pour moi) auxquels – faute de travail, de concentration et de motivation – j’étais peu sensible. Et donc, sans trembler (puisque je n’étais pas le seul), je traversais la salle de cours et ramassais dans la poubelle mon devoir de mathématiques, ce qui me permettait d’exhiber mes baskets hors de prix et mon petit fessier magique.

Traumatisme ? Même pas.

J’ai eu seize au baccalauréat (filière économique, donc aucun prestige) et depuis je continue de considérer les mathématiques comme une science tout à fait divertissante. Encore récemment, j’ai tenté de comprendre comment les humains, il y a bien longtemps, furent capables de mesurer le périmètre et l’aire d’un cercle. Nécessité ancestrale je suppose, lorsqu’il a fallu délimiter des territoires (des champs ronds?) et définir des équivalences en tous points (une carotte = deux pommes de terre = un droit de passage pour emprunter le pont qui enjambe cette foutue rivière entre nos deux villages).

Et puis j’ai droit à des cours de rattrapage, lorsque j’aide mes enfants à résoudre les problèmes posés dans leurs ouvrages colorés aux couvertures froissées. Certes, notre belle France a désormais un niveau désastreux en sciences, ainsi que dans toutes les matières mollement enseignées, donc je brille facilement, mais j’ai gardé pour les mathématiques une sorte d’affection telle que celle que pourrait avoir un taxidermiste pour les cadavres qu’il apprête en vue d’une immortalité à même de parer le plus insigne des cabinets de curiosité.

Quant à la musique, véhicule idoine de sensations simples et fortes, elle se nourrit de quantification, de mesures et d’amplitude sonore, à tel point que certains soirs, lorsque je veux retrancher un pont un poil trop long (voire inutile) ou décaler des guitares finalement mieux en vue sur l’introduction que sur le refrain, je prends des notes sur un carnet pour m’assurer de ne pas faire n’importe quoi : dissection, couture, chirurgie plastique, tout devient chiffres.

Sauf que. Sauf que la magie résiduelle, c’est l’accident. L’imprévu, le hors-tempo, le hors-champ. L’inopiné dans la structure, la survenance d’émotions non conscientes, la ruée en terre balisée. Telle est la présence de David, sur des instrumentaux en construction, il y a le cadre, et il y a la cavalcade. Lorsque David a posé son chant sur les morceaux, affalé sur mon canapé, ivre de fatigue et de courbatures héritées de la cuite de la veille, je n’entendais rien d’autre que sa voix, et me demandais comment tout ceci – ses mots rédigés quelques minutes auparavant, ma musique un peu banale, bourrée de tics – allait tenir. C’était le mystère, et je l’acceptais pleinement, parce que je faisais confiance à la collision fusionnelle entre son flow, son humeur, son moi profond, et les cartes postales musicales spleenesques que je lui avais envoyées de Paris à Brest, qu’il avait attentivement lues et ingérées en leur substrat mélancolique.

Un peu plus tard, quand j’ai commencé à mixer, avec appréhension (si ça se trouve on fait de la merde) et curiosité (vers où allait-il emporter cette musique?), carnassier, j’ai souri. Je me suis dit « Mec, c’est de la grosse balle ». Oui, je ne suis pas supposé me prévaloir d’un engouement auquel l’artiste un peu humble et lucide doit se refuser, mais à partir du moment où l’on partage et fusionne son univers avec celui d’un autre, ça permet un certain recul.

Alors, il y a quoi au-dessus des mathématiques ? Plein de choses, pour sûr. Certains diront la poésie, d’autres le sport, moi je suis incapable de répondre, et je ne veux pas. Ce que je sais, par contre, c’est que s’ouvrir à l’altérité permet de déjouer les pronostics intimes.

Et quand j’y repense, j’aurais dû ne jamais aller cherche mes devoirs de mathématiques dans la poubelle : à quinze ans, on manque d’aplomb, on se laisse sidérer par la bêtise, l’agressivité passive, la fumeuse expérience de l’âge avancé de l’autre à qui on fait confiance sans réfléchir (une fois adulte, quand j’ai réalisé que les adultes n’étaient qu’une chimère, ça n’a fait que confirmer mes doutes, je suis aujourd’hui cerné par des vieillards qui ont peur de leurs ombres), et les adultes en profitent salement (à l’instar des idéologues et des politiques qui nous prennent pour des demeurés en pensant que leurs atours nous trompent), mais voilà, il faut bien l’écrire, même si c’est trente ans plus tard, donc trop tard.

Monsieur Machin, mon deux sur vingt dans la poubelle, qui t’a fait perdre dix minutes de ta précieuse existence de fonctionnaire placide, tu peux bien te le carrer dans le fion.

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from Fi​è​vre Honneur Baston, released March 17, 2023

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