Ici commence la promotion de « Fièvre Honneur Baston » : étant donné que je n’en ai pas écrit les mirifiques textes, je ne suis pas la meilleure personne pour en parler, mais à l’instant, tandis que je fumais une cigarette sur mon balcon, j’ai entendu un de mes voisins évoquer l’endroit d’où il vient par les termes suivants – il fait froid, c’est chaud. Et donc j’ai souri et je me suis dit que si les PNJ du réel pouvaient dire n’importe quoi, alors moi aussi, le monde entier s’en fout.

Par quoi commencer ? Par David Jestin évidemment, puisqu’il est le PNJ principal des saynètes autofictionnelles de « Fièvre Honneur Baston ». OK, je sais peu de choses de lui et il y a évidemment certains événements, aussi drôles et tragiques soient-ils, que je saurais taire, parce que je suis un homme de goût, la discrétion étant indissociable de cette civilité tant honnie par les thuriféraires de l’authenticité, qu’à mon tour je honnis, ayant eu trop souvent à subir les saillies verbales d’individus ne sachant pas s’empêcher et dont je me tiens éloigné tant la peur de leurs pets mentaux me fige.

Lorsque, l’hiver dernier, le vénérable pourvoyeur de produits culturels frelatés Amazon a mis en ligne son hagiographie d’Orelsan, j’ai super rigolus, mais j’ai également envié ce simplisme du hip-hop, qui voit des types passer leurs nuits sur leurs ordinateurs à exploiter des sons MIDI et se prendre la tête à boucler des harmonies si pauvres qu’elles en dessalent la Mer Morte.

Bingo, je vais faire pareil, pondre des instrumentaux à deux accords et raconter ma vie de bureaucrate lambda chauve et moche dans un univers fait de journées photocopiées.

Et donc j’ai composé à l’arrache quatre ou cinq « sons » (ah ah, la misère de ce terme qui pue la lose intégrale et le jeunisme foireux) et j’ai tenté, une bière à la main, de rapper mes grosses bullocks molles mais, rapidement, le verdict est tombé : je suis nul. The Streets > Joseph Bertrand.

Me voilà avec mes « sons » sur les bras, qui allaient rejoindre, à l’instar de tant de chansons jamais terminés, le cimetière Centredumonde des espoirs déchus.

Sauf que.

Sauf que sauf que, je ne sais pas comment, et même si notre première rencontre datait de la fin des 2000s, je communique par mail avec David Jestin, on est supposés depuis tant d’années accomplir un grand œuvre commun, ses textes farouches et mon sens de la mélodie putassière, à l’avance un alliage imputrescible, et même si moi je le verrais bien dans un registre de chansons véritables composées à coups de pianos et de guitares orageuses (c’est pas trop tard, hein), je lui dis : mec, j’ai des « sons » en rab, ça te branche ?

En fait, j’en sais rien, je ne sais pas comment on a commencé à bosser sur « Fièvre Honneur Baston », puisque moi j’écris des messages seulement quand je suis bourré.

A jeun, mon ordinateur, je n’y touche jamais, je suis trop occupé à vivre mes journées photocopiées, ou à lire « Jean Santeuil », que je viens de commencer, et ça a pas l’air terrible terrible, mais il en va ainsi des livres jamais terminés que l’on publie en dépit du fait qu’ils ne s’achèvent pas. Bon, Musil, ça valait le coup de l’éditer, et Kafka aussi, mais je me souviens d’œuvres posthumes et dispensables de Brautigan et de Bukowski, qui auraient du rester dans leurs cartons.

Et David Jestin est à Brest et moi à Paris et il m’envoie des pistes de chant qu’il enregistre à quatre heures du matin sur son téléphone et moi je ne sais pas quoi en faire – tout est bon mais inexploitable – et au bout d’un moment on se dit : mec, monte à Paris, on fait ça chez moi.

Et c’est parti. C’est parti d’un rêve.