La première ébauche de « Ligne claire » date du mois d’août 2019. A l’époque, je travaillais sur « Quelque chose (ou quelqu’un) à aimer » - titre sur lequel les vocalises de Claire Redor font des merveilles - et, dans la foulée, j’ai enregistré un instrumental jumeau : dansant (sur un tempo assez lent), atmosphérique et néanmoins organique, le beat en avant et les habituels motifs de guitare répétitifs, en guise de signature centredumondienne : clyde wah-wah jouée en sourdine, avec beaucoup de réverbération, pour ceux qui savent.

Le morceau s’est appelé « Ivresse, bonheur, illusion » puis « Le meilleur moment de la vie n’est jamais venu », avant de terminer, comme tant d’autres, dans un tiroir.

En juin 2020, mon ami Garden With Lips hérite du bébé endormi et pose sa belle voix grave sur une musique encore peu structurée ; je m’étais contenté d’une esquisse assez plate, il a fallu creuser pour la rendre plus saillante, ajouter des arrangements, en épurer d’autres, et, dix versions plus tard, nous tenions enfin une version présentable, mise en scène dans une vidéo où l’ont voit des gens danser, corps enthousiastes au ralenti et, en la regardant, je me paye une sacrée mélancolie.

Avant la crise sanitaire, je m’octroyais régulièrement le luxe de couper les ponts, m’isolant dans une solitude régénératrice, je savais que, tôt ou tard, sans pression, j’allais me replonger dans le réel social et m’enivrer des possibles qu’offrent les relations humaines. Las, depuis deux ans je suis en rade – c’est volontaire, je le vis pas trop mal, mais hors de question de recouvrer, via un passe numérique, une liberté que l’on m’aura enlevée. Voyez-vous, je suis fier.

L’on pourrait penser que le statut de musicien (sexy) (vieux) (vieux mais sexy), aussi amateur soit-il, me rendrait attractif mais, avec le temps, j’ai bien compris que l’échec était un repoussoir ; si vous n’êtes pas artistiquement validé, vous n’êtes pas artiste, ce que je conçois sans peine et, par ailleurs, je n’ai jamais souhaité en faire mon viatique. Musicien à temps complet = se soumettre à autrui (qu’on le veuille ou non), je préfère de loin travailler dans un bureau et le soir chanter ce qu’il me plaît plutôt que de subir les pénibles et leurs attentes.

Mais quand même, en voyant ces filles floues sur une piste de danse à moitié vide, ça me fait un petit trou dans le bide : je ne sais pas comment faire pour être cool et bien entouré mais j’aimerais au moins une fois dans ma vie être ce genre de type populaire et décontracté, à qui on sourit et qui sait comment rendre les sourires, au lieu de, comme moi, grimacer et invoquer tous les démons de l’Enfer pour qu’on lui foute la paix. Ainsi est Centredumonde, ce mec est compliqué (mais pas aigri, non, jamais, si vous me connaissiez en vrai vous sauriez à quel point je suis drôle) (et lucide) («fou celui qui se croit lucide »).