Je me souviens d’un type adorable, Cyril alias Bontempi Master alias Salut Brioche, c’était le chanteur d’un groupe brestois qui s’appelait Silence Radio, il œuvrait dans un tas de projets parallèles et touchait pas mal sa bille. On s’était rencontrés un soir dans les 2000s et après quelques salves de sarcasmes de ma part qu’il a su désarmer par sa tranquillité sensible, on avait décidé d’écrire des chansons ensemble, et puis je suis rentré à Paris et je m’y suis collé et mes textes étaient à son image, décontractés et taquins, ça parlait des années 90, de la bonne musique de l’époque, du fait d’être à côté de ses pompes ou de ne jamais choper en soirée ; il me répondait « mouais mouais mouais » et nos échanges étaient drôles et légers et on traversait le temps sans aboutir à quoi que ce soit. Comme souvent dans la musique, le projet est tombé à l’eau sans que personne ne s’en émeuve, le temps passe, on se perd de vue, et un jour sur Facebook j’apprends sa mort et je me sens bizarre, je me dis merde, il était super jeune (il n’y a pas d’âge pour mourir), alors je relis les textes (que depuis j’ai perdus) et je me marre et l’imagine en train d’écarquiller les yeux en se disant : c’est quoi cette merde ?

Je me rappelle plus particulièrement un texte qui évoquait une fiesta où le narrateur se réveille en vrac au milieu de la nuit et la bringue bat son plein et on est en slip, où est passé ce putain de pantalon ?, où est mon putain de froc ?, je me suis fait dessus ou quoi ? et à l’étage de la villa on ouvre les portes en quête de ce foutu pantalon, les portes les unes après les autres, et alors on tombe nez à nez avec un type qui baise notre nana et on se dit merde, j’aurais mieux de dormir, de ne pas me réveiller, de ne pas savoir, après tout, ce que l’on ignore n’existe pas, tant pis pour le pantalon, on peut en voler un autre et se barrer sans rien dire, dans le froid, comme un con.

Sans le savoir, David Jestin a pris le relais de cette narration entamée des années auparavant. Bien entendu, la réponse à la question posée, « Tu dormais, tu veux que je te raconte ? », est non. On veut savoir et ne pas savoir, coincé entre deux réalités juxtaposées et toujours perdantes.

L’instrumental, en sa fin vaporeusement étiré par Xavier Guillaumin lors du mixage, avait initialement été enregistré pour un ami qui souhaitait en faire l’illustration sonore d’une vidéo en faveur du ramassage de déchets. L’association concernée avait émis son veto, en raison d’une obscure histoire de potentiels droits d’auteur (pourtant, CDM = gratuit, toujours), et donc je n’ai gardé de cette session d’enregistrement qu’un malheureux MP3 au son crasseux, que j’ai envoyé un soir à David et il faut savoir que si cet instrumental n’avait pas vocation à figurer sur « Fièvre Honneur Baston », David a tenu à poser sa voix dessus et il a eu raison, grandement raison, et tant pis pour la qualité sonore.

Quand on a une histoire à raconter, elle s’impose à nous. Elle part de nous, embarque les morts et les vivants, à travers le temps elle nous parle, et nous on l’écoute, parce qu’elle est universelle. Tout part d’un gars en slip en quête de son pantalon perdu et se termine par l’évocation de nos trous de mémoire en soirée, vaste sujet, on pourra en parler.