Un soir en rentrant du bureau, j’ai trouvé sur le palier de ma porte un colis qui contenait la partition pour voix et piano de « Winterreise », attention touchante d’une amie depuis – malheureusement – perdue de vue à cause de cette sempiternelle manie à me tenir éloigné de tout, à qui j’avais fait part du plaisir monstrueux que j’avais à parcourir le passionnant ouvrage du ténor anglais Ian Bostridge consacré (entre autres) au fameux « Voyage d’Hiver », cycle de lieder composé un an avant sa mort en 1828 - à partir de poèmes de Wilhelm Müller – par un Schubert au sommet de son art, même si, je dois bien l’admettre, cette œuvre me procure assez peu d’émotions.

Bien entendu, je ne joue pas de piano ni ne chante en Allemand, mais je me suis dit qu’au vu de mon irrémédiable amateurisme, adapter - à la guitare et en français - l’un des 24 lieder qui constituent le « Winterreseise » serait un amusant pied de nez à ma propre inculture (entre 2018 et 2020, je n’ai écouté que Radio Classique mais j’ai arrêté, parce que ça me collait une mélancolie de tous les diables – mon cœur n’est pas fait pour absorber autant de beauté : j’ai besoin, comme tout le monde, de laideur et de vulgarité – et que les publicités me tapaient sur le système), et donc en bon flemmard j’ai traduit le texte le plus court (« Gefror’ne Tränen »), j’ai écrit une petite mélodie à partir d’arpèges de guitare classique, les cordes en nylon apportant une touche de sérieux au projet, que j’ai maquetté en quelques heures, bières à la main et peu soucieux que Schubert se retourne dans sa tombe viennoise.

Un peu plus tard, tandis qu’avec Claire nous travaillons – elle à Nantes et moi à Paris – sur le EP « The Sweet Kiss », je lui parle de cette ébauche de chanson à haute valeur culturelle ajoutée, et on la termine, j’ajoute un clavier et elle des jolis chœurs, le résultat – malgré ma voix sans chaleur (ça sonne métallique, j’avais certainement mal réglé le microphone quand j’ai enregistré, mais hors de question de refaire la prise, plutôt mourir) et des pistes sonores pleines de souffle (bah oui, je ne suis pas allé plus loin que les pistes maquettées un soir d’ivresse, franchement, enregistrer une guitare arpégée, il n’y a pas pire au monde, vous bouffez une seule petite note et il faut tout recommencer, c’est le bagne) – me paraît satisfaisant et devient un joli épilogue d’une minute et vingt secondes pour clore le EP.

En outre, sachant que, statistiques d’écoutes à l’appui, la plupart des auditeurs atteignent rarement le dernier morceau d’un disque, la fin en devient pour l’artiste (si tant soit peu j’en suis un, et je considère que non) (et je ne veux pas) le meilleur endroit pour faire ce qu’il lui plaît : un jour, j’aimerais écrire un album qui ne contiendrait que des morceaux de fins d’albums, ce serait comme une semaine de sept dimanches, mais des dimanches à l’ancienne, quand les gens restaient chez eux à ne rien faire, et que ce rien était bien plus enrichissant et constructif que le tourbillon consumériste d’aujourd’hui, qui fait de nos vies des semaines de sept lundis.