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Nos forces inemploy​é​es

from Bye​-​bye les vagues by Centredumonde

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about

Il me semble que j'ai commencé à travailler sur cette chanson en 2014, ce fameux été où, dans la cuisine de mon appartement de la rue de l'Amiral Mouchez, au quatrième étage, avec vue plongeante sur les types désœuvrés qui picolaient en vain et les filles qui riaient bien trop fort à la terrasse d'un bar depuis disparu, j'ai ébauché quelques dizaines de morceaux (ils ont nourri les albums ultérieurs publiés par l'Eglise de la Petite Folie), tandis que mon ami et colocataire, ce cher Riwan, était en vacances je ne sais où (Islande, Ecosse, nowhere) et que mon cœur en jachère me livrait à ce spleen presque jouissif qu'il y a à se faire bientôt quitter par une fille indécise: soir après soir, je jouais de la guitare et buvais des bières, sans me soucier d'aller plus loin qu'une ébauche enregistrée sur mon téléphone.

Un peu plus tard, nous sommes en 2018 et c'est la première trace d'une démo un peu construite, à base de rythmiques folk et d'arpèges tendus, et je crois que nous avions même travaillé la chanson en répétition, avec Marc, émérite batteur qui m'accompagne depuis la fin des années 90, sans aboutir à un résultat satisfaisant; il faut le dire, nous avions en tête des tas d'autres morceaux, le répertoire était riche de promesses non tenues.

Le truc, c'est que le texte me taraudait, parce qu'il exprime une sensation diffuse qui m'accompagne depuis longtemps: l'humain est sous-tendu par une incroyable force vitale et, dès lors que nous sommes une société, tout est sous-employé, le cœur, les muscles, les nerfs, l'esprit, le sens critique, les pulsions; accablés de confort et de certitudes oiseuses, nous devenons, jusque dans nos révoltes, invariablement mous.

Il en va de même en amour, l'amour restant ce genre de concept creux, douloureux et flou, qui musèle les énergies et mine les rapports humains.
Je suis paresseux, je me domestique, mais j'exècre l'indolence: je vois l'indolence partout, comme une peste noire de la volonté. Si, en tant qu'individus, nous ne nous respectons pas nous-mêmes, alors comment adhérer à un projet commun, dès lors que nous nous considérons comme étant achevés, tel un produit fini de la pensée qui ne pense rien, face à d'autres qui seraient différents de nous (et indifférents) et que nous mépriserions?

Il y a dans "Nos forces inemployées" une portée générale, la rage existentielle que j'éprouve à l'idée que nous devrions être - en tant que société, dans son sens large, je me fiche des particularités des uns et des autres - tellement plus mélodieux qu'un brouhaha mortifère mais, comme souvent dans mes chansons, on trouve un rapport au singulier.

Je me promène, main dans la main, avec cette fille qui allait me quitter dans quelques jours (c'était mérité, et paradoxalement salvateur, j'allais enfin pouvoir, après deux années de silence - je craignais de l'effrayer - me livrer à ma petite et démoniaque musique) - j'évoque une promenade aux abords du parc Montsouris, un soir d'été apaisé, après un dîner approximatif (je cuisine tellement mal), j'étais bien et j'étais triste, comme souvent quand je suis bien.
Je n'osais pas évoquer ce que j'avais en tête (tu es si belle et je tiens à toi), afin de préserver l'harmonie du présent sourd, et alors je me reniais, et alors je m'amputais de la brûlure intérieure qui me caractérise; j'étais devenu une toute petite version de moi, une version sous-employée.

On peut se sentir sous-employé, dans une société comme dans un couple, le couple étant, en creux, un condensé de société humaine.

L'année dernière, pendant le confinement, j'ai repris la version folk de 2018 et j'ai ajouté des boucles de batterie et des claviers, sans toucher au reste, les guitares, le chant, la structure. Il y a un petit défaut que l'on ne perçoit pas: une demie mesure en trop sur un couplet, qui me permettait de caser le texte, et je me souviens qu'en répétition, avec Marc, ça nous faisait rire. C'est tellement indolent, pour le coup.

D'ailleurs, nos répétitions étaient souvent amusées, nous nous surprenions à imiter des groupes et des registres, nous nous disions qu'en devenant vieux nous allions nous mettre au jazz ou au garage rock, et alors c'était n'importe quoi, on s'en foutait, on avait la malédiction de la répétition dans la cave: il faisait systématiquement beau.

Dans la cave, tu chantes des chansons tristes et tu bats la mesure et dehors le soleil, mielleux à souhait, te fait un lumineux doigt d'honneur.

lyrics

Je vois, je vois, je vois nos esprits s’essouffler
Des corps, des cœurs, des forces inemployées

Je sais, tu sais, je sais, nous pourrions nous quitter
Elles sont viles et elles sombrent ou s’envolent les belles paroles

Il y a des nuits je rêve de passer par-dessus bord
Me noyer dans un corps, sans batailles ni remords

J’attends, tu entends, c’est tentant, la fin des temps
Quand il sera trop tard pour avoir des regrets

Et pourtant je voudrais que l’on use au quotidien
De mon corps, de mon cœur, de mes forces inemployées

Il y a des nuits je rêve de passer par-dessus bord
Me noyer dans un corps, sans batailles ni remords

Je suis sensible et sensuel, le monde actuel me déplaît
Dans mes veines coule un sang indompté et puissant
Voyager sur une chaise aux confins du néant : non
Moi je demande un peu plus qu’exister au présent

Il y a des nuits je rêve de passer par-dessus bord
Me noyer dans un corps, sans batailles ni remords

Heureusement nos soirées, quand nous déambulons
Ta tête sur mon épaule, dans la ville endormie
Atténuent la douleur d’être né dans un corps
À qui on demande peu, et dont on n’attend rien

Rester dans les clous, refréner l’énergie
Et se laisser crever, anesthésié d’ennui
Moi je demande un peu plus qu’exister au présent
Dans mes veines coule un sang indompté

et puissant

credits

from Bye​-​bye les vagues, released April 1, 2021
Texte: Joseph Bertrand

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