Été 2003, la canicule, en funeste faucheuse, moissonne le pays (sauf – bien entendu – la Bretagne), Bertrand Cantat est en prison et le « Seven Nation Army » des White Stripes commence à polluer nos oreilles.

Au frais, dans mon immense appartement brestois de la rue Jean Jaurès, vivant aux crochets de la société grâce à ce fameux revenu minimum d’insertion qui permit à tant de jeunes gens stylés de prendre le temps de réfléchir (en vain) à leurs glorieuses destinées, entre deux cuites, je végète sans scrupules – j’ai réussi le concours d’agent du Trésor public mais la liste d’attente est si longue que c’est seulement en septembre 2004 que je rallierai la région parisienne et sa suprême qualité de vie.

J’ai donc un emploi sans en avoir un, de quoi glander en toute sérénité, finis les stages d’insertion et les formations douteuses ; ceci dit, faire semblant de chercher du travail, répondre à des annonces pour des jobs sous-payés et me rendre à des entretiens que je sabordais avec plaisir, c’était cool.

Les hillbillies mangent de la nourriture pour chiens quand ils n’arrivent pas à trouver de la merde.

Cette phrase, tirée du « Dead Elvis » de Greil Marcus, fait écho avec l’expérience que j’ai du Centre-Bretagne : au milieu des années 90, j’ai (O sombre fatalité, quand tu te saisis de nous!) vécu quelques mois à Spézet, charmant village de 12,47 habitants, j’ai écumé les boîtes de nuit aux alentours, les bals de pompiers, les fest-noz, alors les ambiances tendues qui finissent en baston, je connais bien, c’est toute ma jeunesse finistérienne un peu casse-gueule, les types bourrés qui dansent et se battent pour des nanas niaises, il est seulement huit heures du soir sous le soleil mou et on sent que ça va mal tourner, mais on reste, parce qu’on se sent vivant (et qu’on est super crétin).

« Nourriture pour chiens, chats et humains » est un hommage à ce passé révolu et attendrissant. J’y évoque une soirée imaginaire, jamais vécue mais tant de fois frôlée, durant laquelle je me fais péter la tronche par des bourrins alcoolisés. La sono crache du Noir Désir – à mon sens l’acmé de tout ce que le rock agricole à la française peut avoir de pire, et qu’on ne me parle pas des influences « poétiques » de Bertrand Cantat - je me comporte comme un gros branleur, je drague la mauvaise fille, j’en subis les conséquences, avec panache, comme toujours, comme dans la vraie vie.

La mise en abyme se poursuit jusque dans les arrangements, minimalistes à souhait. La rythmique binaire et le riff de guitare électrique sont un clin d’œil ironique à « Seven Nation Army » (oui, restons dans la thématique de la pauvreté – Hillbillies, Centre-Bretagne, Armée du Salut), je deviens, l’espace de quelques heures – le temps d’enregistrer, au printemps 2004, la démo que vous écoutez en tapant du pied – les White Stripes à moi tout seul.

Bien des années plus tard, en 2012 : dans un bar, à Verdun, j’aborde une fille qui me sourit, nous engageons la conversation, elle est professeur d’anglais au collège du coin, je suis content, elle ressemble à Graziella Diamond, mais trois crétins baraqués se ramènent et me disent que je n’ai pas le droit de lui parler parce qu’ils ne me connaissent pas et que JE N’ÉTAIS PAS AU LYCÉE AVEC EUX.

Jamais entendu un argument aussi con : les hillbillies sont partout.