Dans les 2010s, j’ai partagé, rue de l’amiral Mouchez, un appartement avec un ami que je connaissais depuis le lycée (Pierre Guéguin, à Concarneau – filles moches et bourrins à mobylette trafiquée), je peux dire que rentrer du boulot et siroter des bières en écoutant DC Basehead ou les Pixies, c’était carrément cool : zéro conflit en cinq années de colocation et des tonnes d’anecdotes super croustillantes à raconter, trop croustillantes pour les oreilles sensibles.

Le contrat était simple : la colocation étant à durée limitée, soit le temps de se refaire la cerise, le premier qui se lancerait dans une relation sérieuse mettrait fin à cette cohabitation heureuse, tandis que l’autre volerait de ses propres ailes, remis d’aplomb grâce aux beuveries et aux pizzas.

L’autre, bien entendu, ce fut moi.

En décembre 2003, je m’apprêtais à quitter Brest pour rejoindre les Yvelines et les rangs du Trésor public, il me fallait, avant de partir, solder les comptes, d’autant plus que mes acouphènes commençaient à me titiller et que je ne savais pas si par la suite je serais en mesure de contenter ma frénésie créatrice. Je crois qu’à cette époque j’ai enregistré des dizaines de chansons et quand l’inspiration manquait, je piquais des textes à droite à gauche, dont les poèmes de mon futur colocataire, ce cher Riwan, auteur du texte de « Souligner dans le gris ».

Qui dit quantité dit rapidité dit faible qualité, parce que souvent je me contentais de guitares folk et de couches de voix : je suis un immense flemmard, je n’accorde ma guitare que si ça sonne vraiment faux, j’improvise les arrangements (et ensuite je trie, ou pas), je ne fais qu’une prise de chant. Ami de l’instant présent, à la mémoire courte, peu soucieux de la destinée de mes chansons, je trouve mon plaisir dans la composition, le reste est pour moi un chemin de croix.

« Souligner dans le gris » est minimaliste mais les mots remplissent l’espace - texte ciselé, tendre et mélancolique, que je reproduis ici, ne sachant comment terminer cette chronique à cheval sur deux époques révolues. J’ai bien pensé à lui offrir un meilleur écrin mais il y a tant à écrire et chanter, il me faudrait mille vies pour m’accomplir en tant que musicien, et je n’en ai qu’une.

Mes meilleures heures
Grâce à elle reviennent
Soulignées dans le gris
À elle l’indulgence
De rétablir le blanc ébloui
Et les éclats d’une rencontre / appliquée des bouches
Lentement belles
Dans un coin – plage ou pommette –
Proche d’ici que je connais
Elle ne s’efface pas grâce à elle
La beauté qui me sauve
Un instant parfois

Je souligne dans le gris

Je souligne dans le gris
(sur la bouche ou ailleurs)
Avec un tube de rouge
Le temps à garder longtemps
Elle m’aide un peu
Au soulignement des choses belles
Qui me hantent heureusement
Mes meilleures heures reviennent