about
« Ta manche décousue » fait partie de la dernière salve de chansons enregistrées à Brest avant mon départ pour l’Île-de-France et la découverte d’un univers bureaucratique merveilleux dans lequel j’évolue depuis avec grâce et soumission burlesque. Le monde du travail restera à tout jamais un mystère, mal nécessaire pour me payer des bières.
Nous étions en juin 2004, j’avais installé un bien précaire home studio dans l’atelier-garage-écurie de mes beaux-parents de l’époque – un quatre pistes analogique en bout de course (ce fut sa dernière séance), un vieux synthétiseur et un microphone à 50 francs – et j’accumulais les prises de voix, en espérant ne pas agacer les deux chevaux somnolant à quelques mètres de votre serviteur, sexy as fuck et torse nu à cause de la chaleur.
Je n’ai pas le permis de conduire et j’ai longtemps eu une peur bleue de ces armes par destination que l’on considère comme des véhicules : distrait par nature, j’ai failli mourir mille fois en traversant la rue.
Et j’ai survécu à deux crashs de voiture quand j’avais vingt ans ; le premier en rentrant du Calao (« Oh, Tom Curren est là, alors s’il te plaît, oublie moi ») et le second sur un rond-point vers Quimperlé, tandis que nous nous rendions en boîte de nuit. Sauvages et débiles, nous avions abandonné la carcasse enfoncée pour nous rendre malgré tout en boîte, demain était demain et il fallait avant tout chasser la gueuse, mais quand on se tape quinze kilomètres à pieds sans la gueuse promise, alors on râle.
On râle, dessaoulant, on marche, c’est mécanique, et puis on ne peut s’empêcher d’admirer ce putain de ciel levant, cet ocre lent qui se dessine autant que les occasions manquées : je ne me suis jamais senti aussi vivant que dans ces périodes d’abandon de tout, errant à l’aube, me demandant qui j’étais et où j’habitais.
La meilleure conversation de ma vie, c’était avec une vache au bord du chemin, au petit matin : dans son langage paisible elle m’a dit « pauvre gars, t’es aux fraises », et moi j’ai répondu « fais pas chier ma belle je suis carnivore ».
Sauf que cinq heures plus tard, elle broutait son herbe et moi je marchais comme un con le long de la voie express, à dix kilomètres de mon lit.
lyrics
Il y a ta main, et ta manche décousue
Et toi, assise sur moi, qui traduit du latin
Au dehors, le soleil chiffonne les voitures
Dans la chambre on entend la rumeur de la ville
Il y a ta joue, et ton visage radieux
Et toi, nourrie de moi, qui boit du mauvais vin
Au dehors, les vitrines reflètent des cadavres
Dans la chambre on entend s’évertuer le futile
Il y a tes yeux et tes lèvres pincées
Et toi, si concentrée, qui fait des mots croisés
Il y a ton ventre et ta peau brûlante
Et la vie qui palpite, et la vie qui apaise
Il y a ton cœur et ton âme gracile
Et toi, emplie de nous, qui traçons des chemins
Il y a tes rires, insouciants de jeunesse
Comme une assurance que le bonheur sera
Il y a l’horreur et l’avenir défectueux
Et toi dans un cercueil, ta manche est décousue
Au dehors, les fleurs en plastique se gondolent
Le poids de la chaleur, en sourdine, me dévore
Il y a hier, je t’ai vue traverser
Tu étais tête en l’air, tu t’es faite écraser
Au dehors, le silence d’un dimanche exténué
Dans la chambre je m’endors, les veines cisaillées
Il y a ta main et ta manche décousue
Il y a ta main et ta manche décousue
Il y a ta main et ta manche décousue
Il y a ta main et ta manche décousue
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